À l'occasion de la publication de nouvelles de Virginia Woolf, dans une nouvelle traduction, nous nous sommes entretenus avec Bernardo Torro, directeur des éditions Rue Saint Ambroise, qui lance cette toute fraîche collection à l'intention des amateurs et auteurs de nouvelles.
La revue Rue Saint Ambroise publie Les meilleures nouvelles de Virginia Wolf, le premier titre d’une nouvelle collection ; comment est né ce projet ?
La collection est née de la réflexion suivante : Quand nous voulons découvrir un écrivain, la première question que nous nous posons est que lire ? Quelles sont ses œuvres principales ? Il est facile de répondre à cette question quand il s’agit d’un romancier, n’importe quel micro-biographie nous y conduira, s’agissant d’un nouvelliste la réponse est autrement plus difficile à trouver. Prenons un grand nouvelliste comme Tchekhov, le père de la nouvelle moderne. Quelles sont ses principales nouvelles, celles qu’il faut absolument lire ? Seuls quelques spécialistes le savent, aucun recueil ne les rassemble. Mais nous pourrons éteindre cette démonstration à Woolf, à Mansfield, à O’Connor, à Fitzgerald, etc. Notre collection se propose d’apporter une réponse à cette question.
Qu'est-ce qui amène les Editions Rue Saint Ambroise, spécialisées dans la fiction courte à éditer une collection de nouvelles du 20e siècle et pourquoi avoir choisi Virginia Woolf pour commencer ?
Quand on essaie d’expliquer pourquoi la nouvelle est devenue un genre mineur en France, on apporte des tas de réponses (économiques, sociologiques) mais aucune réponse littéraire. Notre collection est une réponse littéraire à la question de la nouvelle. En France la fiction courte ne s’est pas véritablement renouvelée et de ce fait elle a cessé d’être un genre novateur. Pourquoi ? Probablement parce que la France a raté le tournant esquissé par Tchekhov. Il est probable que le génie de Maupassant ait contribué à cette occultation et qu’en France on ait continué à écrire des nouvelles à la manière de Maupassant, c’est-à-dire à la manière du XIXe, sans percevoir l’abîme que Tchekhov a creusé sous nos pieds. Les anglo-saxons en revanche, ont très bien lu Tchekhov, toute leur grande tradition de nouvellistes en dérive. Virginia Woolf a été l’une des première a prendre conscience du phénomène, Pour elle Tchekhov est l’inventeur d’un nouveau genre qui n’a rien à voir avec la nouvelle telle que nous l’entendons (surtout en France). Il nous semblait important de faire connaître au public français ce nouveau genre qui a permis à la fiction courte de rester (en anglais mais aussi en espagnol, en russe, en japonais) un genre novateur.
Le recueil précise : « nouvelles traductions » ; peux-tu nous éclairer sur l'importance de la traduction de ces nouvelles ?
En France les nouvelles des grands auteurs sont régulièrement republiées mais pas souvent retraduites. Certaines traductions commencent inévitablement à dater. De ce fait la modernité de ces auteurs n’est pas toujours perçue. Pour Woolf, par exemple, Pour Woolf, Florence Didier-Lambert, l'éditrice de l'ouvrage, a fait appel à des spécialistes de littérature anglaise qui, tout en suivant ses consignes, ont interprété Woolf chacun à leur manière. Cette pluralité d’interprétations fait écho à la pluralité de voix de notre revue. Comme il existe plusieurs manières de jouer Bach ou Haydn, il existe plusieurs manières de traduire Virginia Woolf ou Katherine Mansfield. Les laisser résonner à l’intérieur d’un même volume permet de saisir la richesse inépuisable de ces auteurs.
A qui s'adresse ce recueil et y a-t-il pour toi un lecteur type de nouvelles ?
Ce recueil s’adresse à tous les amateurs de nouvelles, mais en premier lieu aux auteurs. Notre proposition est simple : Vous écrivez des nouvelles, vous vous intéressez sérieusement à la question, voilà des auteurs qui vont vous permettre de réfléchir à votre pratique, des auteurs qui vont vous apporter énormément. Nous voulions que le prix des recueils soit très abordable (12 euros) pour cette même raison. Ces ouvrages sont des outils de travail, pas des ouvrages de luxe à ranger dans une bibliothèque. Ce sont, au contraire, des livres à lire, à relier, à souligner, à écorner et à garder pendant des mois dans son sac.
Dans le recueil, les lecteurs pourront découvrir la nouvelle : Mrs Dalloway à Bond Street ; or, Virginia Wolf est connue, en autres, pour son roman Mrs Dalloway. Penses-tu que la nouvelle mène systématiquement au roman ?
On peut dire que Virginia Woolf a fait exploser le roman moderne avec ce livre merveilleux qu’est Mrs Dalloway. Peu de gens savent qu’à l’origine Woolf voulait écrire un recueil de nouvelles autour de la soirée de Mrs Dalloway, et que dans ce but, elle avait écrit une première nouvelle Mrs Dalloway à Bond Street, puis une deuxième, avant d’abandonner le projet pour en faire un roman. Qu’est-ce à dire ? Que la nouvelle mène systématiquement au roman ou bien, comme nous le pensons, que cette nouvelle contenait la formule chimique qui a fait exploser une certaine idée du roman. Comme James Joyce à la même époque, Virginia Woolf voulait casser la forme linéaire et monologique du roman du XIXe en y introduisant une polyphonie de voix. Elle s’y est appliqué en écrivant La chambre de Jacob sans y parvenir complètement. Il lui manquait quelque chose, une sorte de liant qui permette de passer d’une voix à l’autre sans trouer la trame narrative. Et voilà qu’en écrivant cette nouvelle incroyable (Mrs Dalloway à Bond Street) elle parvient à trouver ladite formule qui pulvérise le roman façon XIXe. Elle n’aura plus qu’à l’étendre à l’ensemble du roman. Cela donne Mrs Dalloway, l’un des sommets de la littérature mondiale.
C’est un exemple qui devrait nous amener à repenser le rôle de la nouvelle dans le champ de la littérature.
Les meilleures nouvelles de Virginia Woolf
Editions Rue Saint Ambroise
216 pages. Prix : 12 euros.
Pour en savoir plus ou acheter le livre : https://www.ruesaintambroise.com
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